Le concept de pair-aidance existe depuis longtemps ; il repose sur l’idée qu’en ayant vécu la même maladie (physique ou psychique), on peut d’autant plus s’entraider. Ainsi, la personne qui a réussi à gérer au mieux sa maladie peut accompagner une autre personne qui n’en est pas au même stade.
On retrouve par exemple ce fonctionnement dans les groupes d’entraide d’alcooliques. Ou dans des contextes de maladies physiques comme le cancer ou le sida.
Ce soutien entre pairs peut prendre plusieurs formes. La participation à des groupes de paroles (comme dans le cas d’associations type Vie Libre), à une association d’usagers (pour défendre notamment les droits des personnes), à un GEM (groupe d’entraide mutuelle), à un clubhouse…
Pour ce qui concerne la santé mentale, le programme québécois PAR (Pairs Aidants Réseau) en donne une définition : « Le pair-aidant, fait référence à un membre du personnel vivant, ou ayant vécu, un trouble de santé mentale. A partir de son expérience de la maladie et de sa compréhension de son propre processus de rétablissement, il aide ses pairs à surmonter les obstacles et à identifier ce qui les aide à se rétablir. »
La pair-aidance défend aussi l’idée que les usagers en santé mentale, en puisant dans leurs propres ressources, puissent (re)prendre du pouvoir sur leur vie (notion d’empowerment) et sortir ainsi des clichés dans lesquels ils se sentent enfermés (cf. logique de dépendance, d’invalidité ou de chronicité).
L’accent est bien plus mis sur la possibilité de retrouver un sens à sa vie, malgré la maladie, que sur les symptômes.
Mais les exemples donnés plus hauts reposent essentiellement sur du bénévolat.
Car il y a aussi des exemples de pairs aidants qui sont recrutés et rémunérés pour travailler au sein d’équipes professionnelles de soignants, et qui vont accompagner d’autres usagers en santé mentale.
Ceci étant, même si l’opinion selon laquelle des personnes confrontées à une même épreuve, qui ont su y faire face et l’ont surmontée, et peuvent du coup apporter leur aide à d’autres, n’est pas nouvelle, l’idée que cette fonction d’accompagnement et d’aide puisse être assumée par des personnes ayant connu des troubles psychiques graves commence à peine à être envisagée. Surtout lorsque ces personnes sont rémunérées et intégrées dans des services de soins classiques. L’idée même provoque encore des débats animés, notamment en France...
L’idée qu’un ancien patient en psychiatrie puisse aider d’autres malades remonte à loin, puisqu’au 18ème siècle, Jean-Baptiste Pussin, qui travaillait avec le Docteur Philippe Pinel à l’Hôpital Bicêtre, fût un des premiers à recruter d’anciens malades guéris, lui-même ayant d’ailleurs été auparavant hospitalisé pour un mal jugé incurable (la tuberculose) dont il s’était pourtant rétabli.
Plus proche de nous, si on se réfère à la valeur que certains psychiatres donnaient au savoir « expérientiel » (par le vécu), François Tosquelles, sans que cela concerne des patients, avait aussi eu le culot (et la créativité) d’embaucher d’anciennes prostituées dans le camp de réfugiés qu’il coordonnait en tant que psychiatre, parce que, selon lui, elles avaient une bonne expérience de l’humain.
Mais il faut aller aux Etats Unis pour voir émerger le concept de pair aidance.
En effet, dans les années 70, époque assez militante, des réseaux de santé communautaire, gérés par des usagers, s'y sont développés, parallèlement aux réseaux de soins classiques, défendant les droits des usagers et mettant en avant l’intérêt de l’entraide mutuelle. Il s’agissait pour eux de sortir aussi de la logique de dépendance, voire d’infantilisation, qui existait pour les patients.
En 1989, face à l’ampleur que prit ce mouvement, l’Association Nationale des Directeurs de Programmes d’États pour la Santé Mentale (The National Association of State Mental Health Program Directors) reconnaîtra officiellement l’importance de la contribution des usagers dans le système de soins et l’intérêt de proposer et donc de recruter des pairs aidants (« peer support workers ») dans les services de santé mentale.
Depuis, les programmes de soins incluant des pairs aidants se sont développés dans plusieurs pays (Etats Unis, Canada, Québec, Australie, Allemagne, Danemark, Belgique…), même si le débat sur ce sujet continue d’être animé.
Il n’existe pas de diplôme spécifique, ni de profil type pour devenir « pair aidant ».
Déjà, ils ne sont pas forcément salariés. Dans ce cas-là, on utilise souvent le terme de « pair-aidant bénévole ». Et ils sont souvent alors encadrés et supervisés par des professionnels soignants.
Quand ils sont salariés, ils peuvent l’être d’un établissement hospitalier public ; ils peuvent l’être aussi via une association indépendante.
Il s’agit de reconnaître que les pairs aidants (appelés aussi médiateurs de santé pair) ont des compétences, de par leur vécu, que les autres professionnels soignants n’ont pas (à moins d’avoir vécu la maladie psychique), et que ces compétences, qui sont complémentaires aux compétences du reste de l’équipe, peuvent participer à l’amélioration de la qualité du dispositif thérapeutique auprès des usagers.
Il y a aussi le fait qu’entre pairs, la relation peut s’établir facilement ; l’autre ne se sentant pas jugé et/ou en position inférieure et/ou discriminé…
Le fait que deux personnes, qui ont un vécu proche, soient amenés à échanger et partager, et ce, en sachant qu’il n’y aura pas de préjugés, voire de stigmatisation, peut aider à développer des mécanismes de résilience. Et en aidant l’autre, en contribuant à son rétablissement, l’usager mieux stabilisé peut développer son estime de soi, car il est toujours gratifiant de se sentir utile. Du coup, on peut considérer que l’un et l’autre s’apportent des choses mutuellement, dans un échange de réciprocité.
Il est important aussi de préciser, même si à l’origine ce sont des associations d’usagers militantes qui ont lancé ce mouvement, que les pairs-aidants travaillant au sein de services hospitaliers n’ont pas vocation à être militants, à représenter les patients et/ou à les aider au niveau de leurs droits. Il faut ainsi bien distinguer l’engagement au sein d’associations d’usagers, et le travail au quotidien de pairs-aidants salariés, qui est beaucoup plus pragmatique et tourné vers l’aide au rétablissement des patients.
Redonner espoir aux patients puisqu’il a lui-même affronté et franchi les obstacles liés à la maladie mentale et qu’il a développé des stratégies facilitant le processus de rétablissement.
Soutenir et responsabiliser le patient dans la reprise du pouvoir sur sa vie (notion d’empowerment) en l’aidant à mobiliser ses ressources de résilience.
Apporter son expertise pour encourager le développement d’une culture d’équipe dans laquelle le point de vue et les préférences de chaque usager sont reconnus, compris, respectés et intégrés dans les projets de vie.
Le « pair aidant » n’a pas pour fonction de se substituer aux services de santé mentale existants mais d’offrir une alternative spécifique et complémentaire aux interventions des soignants.
Le « pair-aidant » n’aura pas non plus pour mission de représenter les usagers dans les institutions.
L’intervention d’un travailleur « pair-aidant » est aussi à différencier de l’entraide mutuelle qui se fait bénévolement dans les GEM, structures associatives certes portées par des usagers mais où il n’y a pas de suivi médical des personnes.
L’image qu’on peut se faire d’un usager en santé mentale rétabli. En effet, les réactions sur la représentation qu’on peut avoir d’un usager stabilisé et apte à aider d’autres usagers sont très variées, et encore assez souvent porteuses de préjugés, même au sein des équipes soignantes réputées les plus ouvertes…
Or, le fait d’accueillir dans une équipe un ou deux pairs aidants peut bousculer les a priori sur la santé mentale. Sur le fait que tel trouble est jugé incurable (cf. notamment la schizophrénie) ou qu’il est impossible de vivre une vie « normale » et donc de travailler avec ce genre de handicap.
L’idée qu’un savoir « expérientiel » (par le vécu) puisse être mis au même niveau que des compétences professionnelles peut aussi poser question. Interroger notamment sur les modalités pratiques d’intégration au sein d’une équipe où les professionnels pourront du coup être évalués différemment.
Un des enjeux majeur est de réussir l’intégration du pair-aidant dans une équipe composée de soignants professionnels (médecins, infirmiers, éducateurs…).
Les expériences internationales ont montré que cela nécessitait une formation préalable du pair aidant, mais aussi un accompagnement et une supervision de l’équipe accueillante.
Une bonne intégration se fait en effet lorsque les deux parties y mettent du sien.
Par ailleurs, le statut de salarié (et le montant de la rémunération) peuvent jouer sur l’intégration.
Aux Etats Unis, le combat a été long pour que les travailleurs-pairs obtiennent un statut et un alignement de leur salaire sur les autres travailleurs sociaux.
Au Québec, les pairs-aidants ne sont pas embauchés à « bon marché », mais au même niveau que les travailleurs sociaux.
En France, dans le cas du programme expérimental des médiateurs de santé pairs, le salaire proposé correspondait à un salaire d’infirmier débutant, et a été vivement critiqué par certains syndicats, qui voyaient là une dévalorisation du métier d’infirmier.
Pour les patients : la présence de soutien par les pairs produit des impacts positifs significatifs en terme de qualité de vie, de réduction des symptômes, de nombre de crises et de diminution des journées d’hospitalisation.
Pour les « pairs-aidants » : le fait d’être embauché en tant que tel augmente l’estime de soi et le sentiment de reprise de contrôle sur sa vie.
Pour les équipes de soins, l’intégration de « pairs-aidants » provoque une évolution inévitable de la culture professionnelle des professionnels soignants.
Pour l’entourage des patients, les pairs-aidants créent souvent des passerelles entre les services de soins et les lieux d’intégration dans la cité, facteur non négligeable dans le processus de rétablissement.
Il peut y avoir un risque de recrudescence des symptômes chez le pair-aidant, pour peu qu’il ne soit pas assez attentif à ses signaux d’alerte, trop pris dans le travail (« le nez dans le guidon »), trop facilement fragilisé face à des situations difficiles, et surtout sans appui extérieur neutre via une supervision et/ou une psychothérapie.
Il est essentiel que le pair-aidant ne s’isole pas, et qu’il puisse, en cas de difficulté trop importante, se tourner vers son réseau de soutien et de soin propre et non vers ses collègues de travail. Il est cependant bien établi que le « pair-aidant » a droit, comme tout un chacun, d’exprimer de la colère, de la tristesse et du stress sans que cela soit mis sur le compte de ses troubles psychiques.
Il peut y avoir un risque de stigmatisation au sein de l’équipe, les professionnels pouvant sous-estimer ses compétences, son parcours et/ou estimer qu’il est trop fragile pour faire ce travail. Mais ces préjugés peuvent s’estomper au fur et à mesure de la prise d’intégration dans le poste.
A l’inverse, le risque de « toute puissance » n’échappe pas au pair-aidant, surtout si celui-ci se vit comme un « sauveur » vis-à-vis des usagers qu’il est sensé aider, qu’il manque d’humilité dans son travail, et qu’il est convaincu que son expérience vécue est meilleure que les compétences de ses collègues, alors que son action s’inscrit dans la complémentarité.
Il existe aussi un risque de confusion des rôles, surtout s’il n’y a pas eu de fiche de fonction établie et que le statut du pair-aidant n’est pas clair.
Au niveau de l’intégration au sein d’une équipe, il n’est pas évident de distinguer ce qui relève du travail d’un pair aidant par rapport à ce que peuvent faire un éducateur et/ou un infirmier, tous pouvant par exemple s’occuper de l’éducation thérapeutique des patients.
Mais alors que l’éducateur ou l’infirmier se base sur des compétences professionnelles, le pair aidant s’appuie sur ses compétences de vécu. Les usagers le reconnaissent ainsi, comme une personne modèle de rétablissement.
Ceci étant, le risque de confusion des rôles peut exister, certaines tâches pouvant être communes (comme l’éducation thérapeutique), et lorsque les responsabilités du pair-aidant n’ont pas été définies (absence de fiche de fonction), alors qu’il est sensé proposer un nouveau type d’intervention, notamment dans les situations où les usagers peuvent être en difficultés (dans la gestion de leur traitement par exemple).
Déjà, il paraît essentiel, pour bien séparer les choses et éviter la confusion des genres, que le pair-aidant ne travaille pas au sein d’un hôpital où il a été lui-même hospitalisé.
Il peut être aussi important de réfléchir à ce qui peut être utile de révéler de son parcours – ou pas, l’idée étant que le pair-aidant puisse accompagner d’autres patients tout en se protégeant aussi lui-même suffisamment.
Il faut aussi pour le pair-aidant s’appuyer sur son vécu tout en évitant les trop grandes projections ; ainsi, il doit avoir conscience que ce qui a été porteur pour lui ne l’est pas forcément pour l’autre, même si son parcours et les ressources qu'il a déployées peuvent donner des idées.
Il faut également qu’il soit attentif à ne pas se positionner en position de « sauveur », ce qui serait préjudiciable, et pour lui, et pour les patients qu’il accompagne.
Idéalement, il faudrait qu’il puisse bénéficier d’une supervision et/ou de réunions d'analyse de pratiques, pour pouvoir discuter avec des professionnels extérieurs de ce qui se vit au sein de son travail, notamment dans les relations avec les usagers (phénomène de transfert et de contre-transfert), mais aussi dans les relations avec ses collègues. Supervision qui peut être proposée par l’établissement, et, si ce n’est le cas, qui peut se faire via un travail psychothérapeutique extérieur.
Pour finir, il faut qu’il soit aussi attentif à tout signe éventuel de rechute, et notamment à la fatigue, physique et relationnelle. En ce sens, un travail à temps partiel (trois ou quatre jours par semaine) peut être pertinent, car permettant de se préserver un temps de pause souvent nécessaire à l'équilibre personnel.
Même s’il est évident qu’un savoir expérientiel (expérience du vécu) peut être un atout pour accompagner un usager vers la voie du rétablissement, pour autant aucun parcours n’est identique à un autre, et personne ne peut plaquer sur autrui son propre modèle de rétablissement, surtout face à une personne en rechute.
Les troubles psychiques sont complexes, et ce qui est valable pour l’un ne l’est pas forcément pour quelqu’un d’autre, chacun ayant ses propres ressources, construites forcément à partir de son histoire singulière.
D'ailleurs, professionnels soignants comme professionnels pairs-aidants devraient toujours avoir l’humilité d’accepter de ne pas toujours pouvoir être aidants.
D'autre part, les quelques études qui ont été conduites pour essayer d’évaluer ce qu’apportent les pairs-aidants au sein des services de santé mentale ont montré qu’il n’existait pas de différences flagrantes entre professionnels soignants et pairs-aidants. En positif, cela démontre que ces derniers peuvent être tout aussi compétents. Et il a aussi été démontré que la rencontre avec un pair incarnant un espoir de rétablissement a la faculté de mettre en mouvement un patient pour qu’il mobilise ses forces afin de tracer son propre chemin (processus d’identification, voire d’inspiration).
Mais on peut aussi se demander quelles sont les interventions spécifiques que les pairs-aidants peuvent proposer, fondées au moins en partie sur leur propre histoire de maladie et de rétablissement, que d’autres personnes ne partageant pas cette expérience ne seraient pas capables de proposer, ou du moins seraient nettement désavantagées pour atteindre le même résultat. Or, il s’agit là d’un champ où il reste encore beaucoup à découvrir et à apprendre, les dispositifs de pair-aidance n’étant qu’à leur balbutiement, notamment en France.
Pour finir, sont présentés dans les sous-onglets les dispositifs existant à l'étranger et en France (programme de médiateurs de santé pairs).